Comment les travaux de Jung peuvent-ils vraiment servir le coaching ? – Flavienne Sapaly

8 Déc 2015

Article écrit par Flavienne Sapaly
Mob : 06.82.56.38.99
Mail : flavienne.sapaly@humanart.fr

Coach Accréditée EIA Praticien senior et ESIA superviseur

Organisme de Formation Humanart certifié Qualiopi

Flavienne Sapaly : ” Je crois que la vocation du coach est de contribuer, au-delà de l’atteinte d’un objectif professionnel, à aider une personne, une équipe ou un système à advenir à ce qu’il est de singulier et que la psychologie des profondeurs issues des travaux de Carl Jung propose une écoute du subtil qui aide en ce sens.

Je crois aussi en une mutation culturelle dans le domaine de la relation d’aide. Cette mutation concerne des citoyens confiants en leur créativité intérieure et en leur droit à la liberté et à l’égalité, qui approchent leurs difficultés – non plus comme un dysfonctionnement qui nécessiterait un praticien détenteur de “techniques” – mais comme une souffrance de leur rapport au monde et au sens, qui appelle à un chemin d’expériences et de réalisations spirituelles, à la recherche d’un sens de la vie qui vienne transcender l’aspect purement fonctionnel pour s’ouvrir à l’expérience de l’unité profonde de l’ « Être ».

De plus en plus de coachs revendiquent l’utilisation d’outils ou d’approches dites jungiennes, mais de quoi parle-t-on ? Dans quelle mesure ne se leurre-t-on pas sur le sens des travaux de cet homme ? Comment rendre compatible son anthropologie avec les attentes du monde des organisations exigeant en terme de résultats et désireux de tout comprendre et de tout maitriser ?
Qu’est-ce que l’anthropologie jungienne ?

Contemporain de Freud, CG Jung a rompu ses liens avec le courant de psychanalyse freudienne avec lequel il était en désaccord (rupture en 1914) et n’a eu de cesse jusqu’à la fin de sa vie de s’appuyer sur l’expérience, notamment la sienne, pour approfondir les mécanismes favorisant la mutation en profondeur de l’homme : sa psychologie est souvent nommée psychologie des profondeurs.

L’anthropologie proposée par Jung repose sur l’idée que chaque homme est invité à une re-naissance au travers d’un processus biologique tantôt simple tantôt complexe. Les évènements extérieurs et la rencontre symbolique avec son intériorité peuvent aider l ‘ Homme à se délier des mémoires qui l’ont imprégnées dans ses origines culturelles et familiales pour « devenir la personne qu’elle est d’emblée invitée à devenir » : un être différencié et en relation. Ainsi se définit le processus d’individuation.

Jung a toujours dit qu’on ne connaitrait jamais la psyché (au sens grec du « miroir ») : là où Freud voulait en faire un objet de science bien identifié, Jung dit que c’est un leurre car la psyché est constituée de tous les champs de l’expérience humaine.

L’une des conséquences sur sa méthode est que la théorie ou le savoir n’aident pas à accompagner la personne. La psyché est une altérité et donc toutes théories ne sont que des passerelles provisoires. La psyché est pour lui comme un mandala : elle rayonne par son centre qui contient à lui tout seul tous les éléments : c’est le Soi.

Une approche jungienne est donc a fortiori une approche spirituelle, au sens de la quête de sens. C’est aussi une approche centrée sur l’écoute de l’inconscient par l’étude des rêves : l’inconscient n’est pas ici perçu uniquement comme le lieu de nos refoulements mais aussi et surtout comme le lieu de résolution des conflits intérieurs, et de libération de nos potentiels pour advenir à ce que nous sommes.

Une posture de « non sachant »

La psychanalyse jungienne est d’abord, comme son nom l’indique, une démarche psychanalytique, au sens classique du terme, en ce sens qu’elle se fonde sur le pouvoir créateur et libérateur de la parole.

Deux verbes peuvent caractériser une approche jungienne : se confronter et dégager le sens.

Marie-Louise Von Franz, une des proches de CG JUNG, résume de façon éclairante la spécificité de la démarche jungienne : « La plupart des écoles psychologiques contemporaines », écrit-elle, « élaborent leur théorie de l’homme à partir d’un présupposé tacite qui prétend savoir ce qu’est la maladie psychique et connaître les règles ou les critères collectifs de la normalité humaine. Il s’insère de ce fait un élément de manipulation plus ou moins important dans l’ensemble des thérapies médicales (…). À l’opposé de cette façon de voir, la thérapie selon C.G. Jung pourrait être qualifiée d’”homéopathique”. En effet, nous ne pensons pas savoir ce qui est bon pour le patient ; en revanche, nous faisons confiance aux tendances naturelles d’autoguérison de la psyché. C’est pourquoi cette thérapie porte toute son attention sur la compréhension de ces forces d’autoguérison et s’efforce de les favoriser, sans plus. Toutefois, nous ne saurions comprendre ces tendances de l’âme vers la guérison sans arriver à “déchiffrer” le langage onirique par lequel s’exprime la nature psychique. Cela représente un travail ardu auquel Jung a consacré toute sa vie et toute son œuvre. »

En pratique, le coach jungien n’est pas dans un rapport de « sachant à « non sachant ». Il est dans une relation avec un individu et/ou un collectif dans laquelle il y a création. L’accompagnement devient une création. C’est une posture plus intuitive qui va solliciter l’imaginaire et le subtil des accompagnés comme de l’accompagnateur.

Or, dans les entreprises aujourd’hui, le coaching est principalement au service d’objectifs déterminés dans le temps. On demande au coach de préciser ses cadres de référence et ses techniques, on revendique l’atteinte de résultats concrets, on évite de parler de psychologie et de thérapie : n’y a-t-il pas incompatibilité avec une approche centrée sur l’écoute de l’inconscient ?

Une écoute du subtil

Ne nous leurrons pas ! Jamais un contrat de coaching ne viendra remplacer une psychanalyse jungienne dont le but est, selon le sens étymologique du terme, de permettre de se délier pour naitre à nouveau (notamment par l’écoute des rêves).

Mais il est intéressant de noter que derrière chaque demande de coaching (sauf les coachings prescrits), il y a à entendre un désir et un appel à faire naitre un nouvel aspect de l’identité de la personne.

Comment une demande d’accompagnement parfois très concrète peut être entendue dans les profondeurs comme un appel à résoudre un conflit, à rencontrer une part inconnue de soi (l’ombre), à expérimenter une nouvelle voie d’être ?

En cela être un coach jungien rejoint toutes les approches du coaching qui visent à l’accompagnement identitaire de la personne. Il s’agit donc d’aider une personne à répondre à la question « qui est ce « je suis » qui demande à naitre derrière cet objectif de croissance professionnelle ? »

Écouter le subtil, c’est entendre la musique des mots du coaché mais aussi la légende ou l’histoire qui cherche à se construire derrière l’actualité de sa vie et en regard de son histoire passée ; c’est écouter symboliquement ce qui se dit ou se vit pour la personne ou le collectif concerné.

Une approche symbolique

Pour situer l’approche symbolique, il convient de rappeler que l’accompagnement s’appuie traditionnellement sur deux types d’approche :

  • Une approche dite analytique qui permet de comprendre « comment on en est arrivé là », individuellement ou collectivement : elle se centre sur une recherche de solutions et un travail en profondeur sur les causes des problèmes.
  • Une approche dite systémique (École de Palo Alto), qui permet quant à elle de porter un regard plus global sur « comment cela fonctionne et interagit » entre les différents éléments du système : elle vise le changement en se centrant sur la sortie de boucles interactionnelles inappropriées.

L’approche de CG JUNG est dite symbolique, car elle consiste à repérer dans ce qui se vit pour un individu ou un système le Sens qui tend à se dégager. « Quelle histoire se raconte et qu’est ce qui cherche à naitre ou à s’harmoniser ? » Son but est d’inscrire le changement par une évolution en profondeur des représentations d’un individu ou d’un collectif.

Ces différentes approches de l’accompagnement ne sont pas incompatibles bien au contraire.

Avoir une pratique jungienne permet l’intégration d’autres regards. Par cette approche, ce qui est recherché en priorité est de relier des contraires qui semblent s’opposer, de révéler des potentiels cachés, de sortir de schémas préconçus pour accéder vraiment à l’autonomie.

Des pratiques variées allant du conte aux métaphores, des expériences corporelles symboliques aux constellations symboliques, du dialogue intérieur à l’utilisation d’arts plastiques, de jeux ou d’objets archétypaux peuvent favoriser cette symbolisation des enjeux.

Le symbole permet alors l’accès à une dimension très personnelle et à une mutation dans les profondeurs.

De même, face aux censures et mécanismes de défense, le symbole permet de réconcilier différentes parties et devient un grand pacificateur.
Savoir entendre ou utiliser les symboles suppose une écoute du subtil et une culture des mythes fondateurs des différentes mutations de l’homme.

Un chemin de différenciation

Une vigilance toute particulière d’un coach jungien consisterait à repérer dans les demandes de coaching ce qui serait de l’ordre d’une demande d’adaptation au système de l’entreprise ou à un « modèle stéréotypé » : en effet, accepter de telles demandes aboutirait à renforcer la « personae », concept jungien signifiant le masque social qui permet de se sentir adapté à notre environnement. Pourquoi pas, mais les représentations que la personne a de ce qu’elle doit advenir pour être un « bon manager » ou un « bon leader » doivent être nommées pour valider que l’enjeu identitaire est bien de « faire naitre le manager ou le leader que je suis, si cela est ma voie » et pas de devenir le manager idéal que je pense qu’il faut être.

La valorisation par notre société du moi affirmé, plein d’une volonté propre à « être ceci » ou à « devenir cela » sera souvent un frein à l’écoute sensible de ce qui peut advenir dans les situations ou contextes proposés. Là où la compréhension de ce qu’on l’on est suscite une transformation de cet état, le désir de se changer engendre bien souvent jalousie et insatisfaction de soi.

La vocation d’un coaching est justement de sortir des modèles et d’accompagner un mouvement de différenciation. La différenciation ne se réduit pas à une marque objective (la couleur de la peau), à un type de pratique ou à des opinions originales.

Il s’agit d’aider quelqu’un dans le renoncement à tenir un rôle pour faire émerger la personne qui s’y cache, si tel est son désir. Au-delà des places toutes faites, il s’agit d’accompagner la personne à être à sa juste place car il existe des espaces où l’on peut échapper aux mécanismes de reproduction et de discrimination.

Notre rôle de coach c’est d’être l’oreille et le regard fondateur qui entend et voit vraiment la coaché dans sa résonance singulière : un regard qui voit sans prendre, sans juger ni en bien ni en mal, sans valoriser ni dévaloriser. Un regard et une oreille bienveillants qui semblent se réjouir que l’autre est là simplement présent.

Une approche centrée sur le sens

Au cœur du travail de Jung est le Soi : ce concept est la source même de l’anthropologie de CG Jung. Un concept éminemment spirituel (au sens de quête de sens) qui pose qu’au sein de chaque individu, un archétype, une force pulsionnelle cherche à réunir nos opposés et à nous faire advenir en tant qu’Être singulier.

« Le Soi n’est rien d’autre que cet « au delà de soi », cet assouvissement de l’Être jamais entièrement réalisé bien que constamment aimanté vers la complétude. » Ysé Tardan-Masquelier

Le Soi sait mieux que l’Ego, le mouvement de changement qui nous est bénéfique.

Là où l’Ego croit qu’il maitrise tout de sa vie par sa volonté propre et a un modèle type de perfection qu’il cherche à atteindre, le Soi pourrait s’identifier au mouvement de la vie qui cherche à s’incarner en chacun.

Écouter le Soi c’est donner du sens aux évènements, au langage utilisé, à la symbolique de la problématique. C’est se confronter avec les contenus de l’inconscient qui nous dirigent et émergent sous le trait d’images (la langue de l’archétype quand il se formule et prend forme est l’image) et de synchronicités en milieu professionnel. C’est entrer en dialogue avec ces contenus et donner du sens aux difficultés et souffrances.

Cela passe par la rencontre toujours davantage avec son intériorité.

Or, la plupart des gens préfèrent demeurer à l’extérieur d’eux-même. Ils préfèrent résoudre les difficultés par la raison. Pas facile de laisser « advenir » à la conscience les flots envahissants et bousculants d’images, de paroles et d’émotions. La méditation est un bon moyen et nous assistons à son déploiement au sein des organisations au travers de pratiques laïques telles que le Mindfullness.

Le coach jungien favorise cette intériorité au travers de pratiques utilisant le symbolique et l’imaginaire.

Une Alliance du féminin et du masculin

Selon Jung, au cœur de l’inconscient se trouvent des archétypes féminins et masculins, que l’on soit un homme ou une femme.

  • L’archétype féminin porte en lui des qualités de relation, d’imagination, de sensibilité, d’écoute, d’intériorité.
  • L’archétype masculin porte en lui des facilités d’action, de parole, de discernement, de pensée.

Le monde des entreprises valorise souvent les valeurs issues d’un archétype masculin.

Les femmes se trouvent parfois dans l’obligation pour survivre dans ces systèmes de développer leur part masculine, ne serait-ce que comme modalité de défense ou comme moyen de prendre leur place. Les hommes quant à eux prennent sur eux le stress ou les émotions dites négatives notamment par la dissociation, et justifient leurs décisions par de longs raisonnements au lieu de s’ouvrir à leurs intuitions et à leur sensibilité.

Or, l’alliance de ces 2 parties est un signe de l’union des contraires et permet une harmonie et un équilibre notamment dans les relations et les prises de décisions.

Le coach jungien est donc dans l’écoute des signes et symboles pouvant évoquer le surinvestissement d’archétypes défensifs comme celui de mère toute puissante, de père sans loi, d’enfant soumis. Il écoute aussi les manques dans le rapport à la loi ou à la parole. Par exemple, avec une personne trop dans la pensée, il utilisera des moyens plus métaphoriques, corporels ou créatifs ; avec une personne noyée dans ses émotions, il veillera à l’intégration positive d’une fonction structurante.

Cette alliance du féminin et du masculin devient alors une modalité d’être et de vivre vraiment l’altérité : nos organisations en ont encore bien besoin !

Un Art d’accoucher

Pour Jung, les souffrances sont avant tout une désunion avec soi-même. Mais elles portent en elles une tentative de guérison. En effet, la souffrance (un conflit par exemple ou une difficulté à prendre sa place dans une équipe) ne revêt pas seulement des aspects négatifs, mais constitue souvent, à y regarder de plus près, une invitation au changement, à l’élargissement de nos horizons, une sorte de passage obligé à une métamorphose de la personnalité (un peu comme la chenille passe par la chrysalide avant de devenir papillon). L’inconscient met ainsi en œuvre un processus de transformation capable de briser le cercle infernal de la répétition.

Il existe donc au sein de l’inconscient humain des forces d’auto-guérison et de transformation. Jung a nommé ces forces “organisateurs inconscients” ou “archétypes”. Pour bien marquer que ces structures sont une caractéristique de l’humain, il parle d’inconscient collectif.

Les archétypes ou dynamismes inconscients peuvent constituer un recours, quand les structures personnelles font défaut. Ils sont alors capables de réparer et de relancer. D’où leur intérêt clinique, auquel Jung s’intéressa beaucoup, ayant été amené au cours de sa carrière de psychiatre à soigner de nombreux cas difficiles.

Comprendre ainsi le psychisme humain ouvre de nouvelles perspectives pour un travail d’accompagnement respectueux, proche d’un “art d’accoucher”, qui ne se fait jamais sans douleur mais est porteur de vie et d’espoir.

Conclusion

Aux côtés des approches analytiques et systémiques, l’approche jungienne propose une approche symbolique, qui ne s’oppose pas aux autres mais les intègre.

Le coach jungien doit donc laisser son savoir de côté, au risque de réduire l’expérience à ce que l’on connait et de ne pas accueillir l’inconnu.

Le message de Jung est que, pour peu que nous acceptions de regarder à l’intérieur de nous, un changement est possible. Sans accès à l’inconscient par les rêves le coach est limité mais il peut apprendre à écouter le subtil pour accoucher ce qui cherche à naitre dans toute difficulté ou désir de changement professionnel.

Cette approche jungienne est éminemment créative et centrée sur la recherche de sens. A ce titre, elle ne peut s’harmoniser avec les systèmes ou organisations qui veulent utiliser le coaching comme un moyen de mettre les personnes dans un certain « moule culturel ». L’enjeu d’un coaching symbolique étant d’aider l’autre à advenir toujours plus près de son Être profond.

Flavienne Sapaly
Coach, enseignante et superviseur
Psychanalyste jungienne

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