Et si la solitude était une voie essentielle pour le mieux « vivre ensemble »

26 Juin 2018

Article écrit par Flavienne Sapaly
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Mail : flavienne.sapaly@humanart.fr

Coach Accréditée EIA Praticien senior et ESIA superviseur

Organisme de Formation Humanart certifié Qualiopi

A l’heure du digital dans un monde « connecté » qui valorise les réseaux sociaux, j’ai fait comme la société en entretenant l’illusion d’un partage total et transparent entre humains qui bannirait l’isolement et créerait le lien fondateur d’un monde nouveau : Facebook, LinkedIn, WhatsApp et autres joyeusetés contribuent largement à cette illusion.
Lorsque j’évoquais la solitude des personnes âgées comme celle des dirigeants c’était pour parler d’une solitude triste, souffrante, un abandon. Je pense aujourd’hui tout autrement.
En même temps que je désire « être avec » les autres, je vérifie tous les jours en entreprise et en famille combien le « vivre ensemble » n’est pas moins souffrant que le sentiment de solitude.
Et si la solitude n’était pas un fléau mais un pilier, une merveille, un roc sur lequel assoir notre soif de « vivre avec » ?
L’expérience me montre que « devenir soi » et quelque peu « libre » ( et je reste prudente avec cette autre illusion) nécessite que nous lâchions le recours permanent à l’autre, à son regard.

Alors que la « mode » est au co working, à la coopération, et à l’habitat groupé, très séduisant je l’avoue, je prône ici la solitude comme remède à l’individualisme, étape essentielle au mieux « vivre ensemble ».

Vivre l’épreuve du sentiment de solitude prend de multiples formes
C’est souvent au détour d’un deuil, d’un licenciement, d’un divorce, d’une lourde perte, d’une maladie que le sentiment de solitude vient se faire connaitre à l’impromptu.
Certaines personnes se sentent seules depuis toujours. Souvent en retrait, par repli ou résignation ou encore par paresse et inertie, ils vivent en souffrant d’une tiède nostalgie qui les assoupit et les rend aussi invisibles que des passe muraille.
Il y a l’isolement qu’engendrent sans bien s’en rendre compte les personnes plaintives ou dépressives, s’apitoyant sur elles mêmes sur le ton de l’amertume ou de la revendication.
Le sentiment de solitude se vit pour d’autres au coeur même de leur famille, de leur couple, de leurs amis, du monde entier. Ils ne se sentent pas compris, pas entendus voir pas de ce monde, différents. Cela peut aller jusqu’a une attitude d’orgueil et de mépris pour les autres, attitude qui crée une distance : derrière cette solitude, l’ego en position de supériorité frôle parfois la misanthropie mais celui qui le vit, n’en est pas moins malheureux.
Quand le sentiment de solitude apparaît, il ne s’agit en fait que de la douloureuse retrouvaille avec un vécu tapis au fond de nous.

La rencontre initiatique du manque nous fait grandir
Manque de reconnaissance, manque d’affection, manque de soutien, manque de sens, quête d’absolu…Et là où il y a manque et quête d’absolu, il y a une attente, l’espoir désespéré qu’un autre, ou un tout Autre pourra venir combler cette béance.
Mais rien ne vient.
« Tout plutôt que d’être seul » serait la devise actuelle.
Face à l’épreuve de la solitude, un choix est à poser que nous formulons souvent en ces termes
• soit fuir et rejoindre un autre « seul » ou un groupe, ce qui à court terme sécurise mais à long terme peut nous perdre.
• soit plonger dans cet espace dont je ne connais pas le centre, au risque de me retrouver dans un gouffre de désespoir
Autant dire que le choix en ces termes est difficile et beaucoup vont préférer la première voie dont, par peur de nous même et refus des épreuves, nous avons l’idée qu’elle serait moins douloureuse.
Car à l’ère du « bien-être », il faut se protéger de tout, échapper à toute douleur.
Vouloir étouffer le sentiment de solitude et combler le manque, c’est empêcher un être humain de prendre conscience, de grandir, de faire quelque chose de sa vie et de vivre une étape essentielle à sa reconnexion intérieure.
Tant d’images négatives s’attachent encore à la solitude qu’il est nécessaire de redire qu’être seul ne veut pas dire être incomplet ou avoir le coeur sec, être dépourvu d’ami ou être froid.
Vivre sa solitude, c’est refonder le désir du « vivre avec » sans attendre que l’autre nous fasse exister.

Quand la solitude cultivée devient un jardin
Comment la solitude souffrante peut elle devenir un terreau?
Cultiver la solitude, cela ne veut pas dire cultiver le solitaire. Être solitaire ne veut pas dire souffrir de solitude.
La souffrance de la solitude née d’un cercle vicieux où pour parer au manque on s’installe dans des habitudes, un train train, un monde connu coupé de la part manquante de nous-mêmes.
Cultiver la solitude passe par accepter de rencontrer l’inconnu. En nous et hors nous.
Se vivre dans des univers variés pour y découvrir ce qui nous met en joie, les présences qui nous rendent vivants. Mais aussi ce qui nous « met la rate au court bouillon. »
Sauter dans cette belle inconnue de la solitude, c’est expérimenter que tout est en nous, que nous sommes bien plus immenses que nous le pensions et que nous pouvons librement envisager notre vie sans nous sentir inférieur ou supérieur.
L’épreuve qui me fait tout à la fois perdre et acquérir me transforme. L’effort qui nait du vide me permet de faire de nouvelles rencontres : des rencontres extérieures parfois. Mais des rencontres intérieures surtout : et il y a tant et tant de personnages à l’intérieur! C’est tout un chemin d’apprendre à se désidentifier de ce petit monde, de nous surprendre nous mêmes à être tout autre que nous le pensions.
Arnaud Desjardins nous proposait de « partager notre complétude plutôt que de chercher quelqu’un pour nous compléter ».
Cela me touche infiniment. Car alors la solitude est un « vivre avec soi » qui ouvre une porte pour le « vivre ensemble ».

Quand cultiver la solitude devient une étape spirituelle
Loin de moi l’envie de vous faire du grand blabla spirituel avec des beaux mots plein d’absolus et de théories sur l’élévation par la solitude. Au contraire, j’en ai la nausée parfois. La nausée des grandes théories et des phrases toutes faites.
Rilke dans « lettres a un jeune poète », très beau plaidoyer sur la solitude, nous rappelle « Gardez-vous de tirer de ce qui se passe en vous des conclusions hâtives. Laissez-vous faire tout simplement »
Martin BUBER, juif réputé pour son combat pour la paix des peuples ajoute « Commencer par soi, mais ne pas se prendre pour le but ».
Le risque de l’expérience de solitude vécue comme une grâce et non comme un manque est de s’arrêter au « moi » « moi » « moi » ; mes états de grâce, mes besoins, mes désirs, mes passions, mes envies, ma solitude chérie.
Oui mais voilà ! Celui qui est seul s’il ne veut pas devenir un errant, doit marcher de façon orientée.

Et « l’orientation » vient quand l’expérience de solitude permet d’être suffisamment vacant et disponible au coeur de l’hyper sollicitation de nos vies pour nous dépouiller des masques sociaux et voir qu’en nous il y a tout et son contraire, le meilleur et le pire. Voir que la solitude est à la fois universelle et une illusion puisque sans l’autre je ne suis rien.
Et quand le vide et le plein se côtoient, la soif de solitude et la soif de la rencontre marchent ensemble, l’amour et la haine, le bienêtre et le mal être vus comme les deux faces d’une même pièce, je peux aimer le grand jeu de la vie.

C’est spirituel ça non ?

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