Voici des propos d’Eric Emmanuel Schmidt qui a aussi beaucoup de sens avec l’actualité de certaines entreprises et le refus de la complexité.
« Trop souvent devant l’horreur nous fermons les yeux et nous crions “assez“ en exigeant des mesures pour résoudre le mal. Or certains problèmes demeurent sans solutions. En tout cas sans solution unique.
Voilà ce qu’on appelle le tragique : une opposition de deux forces qui ne sont pas d’accord et qui pourtant ont raison toutes les deux.
Ainsi, au 21ème siècle, on peut trouver légitime de fuir la misère et la violence mais aussi légitime l’inquiétude du pays accueillant qui se fragilise : choix tragique entre se montrer humain et se montrer prudent.
On comprend la nécessité d’enrayer le réchauffement mais on ne peut pas stopper la croissance : choix tragique entre ne plus vivre demain ou mal vivre aujourd’hui.
On compatit avec ceux qui sont pauvres mais on craint de vider les poches de ceux qui ont plus : choix tragique entre enrichir les pauvres et conserver des faiseurs de richesses.
Or, à la tragédie nous préférons tous le drame.
Avec son schéma élémentaire : le bon et le méchant.
Les marchands de drame prolifèrent en politique : des présidents qui visent à construire des murs pour en finir avec les migrants, des climato-sceptiques, des ultra-libéraux, des anti-entreprises, des ultra-nationaux : c’est ça la démagogie : celui qui refuse la tragédie et aime le drame.
Niant la complexité, il brandit une solution unique.
Même s’il nous déplait nous devons apprivoiser le tragique ; le reconnaître, le mesurer et puis repousser le menteur qui l’oublie.
Notre horreur des tragédies ensanglante le monde.
C’est inconfortable d’être un homme.
Un homme lucide.
Mais le confort c’est l’amour de l’autre. »
Propos de Eric Emmanuel Schmidt pour la rédaction de France Inter, Emission Boomerang du 9 Janvier 2019