Cette question de l’engagement affectif et ses conséquences dans la vie professionnelle est un sujet qui m’a particulièrement concernée lors d’une expérience douloureuse d’association professionnelle avec des amis.
L’occasion d’un cheminement et de prise conscience sur les sources de cet échec.
A défaut d’avoir trouvé des réponses toutes faites et applicables à tous, je souhaite que cet article puisse aider chacun à faire des choix d’engagement relationnels en conscience.
Car soyons réalistes, le monde de l’entreprise que l’on désigne comme « désaffectivé » est en fait le théâtre de nombreuses scènes d’amour en tout genre.
Qui n’a pas entendu ou dit :
« moi, j’évite d’être trop proche de mes collaborateurs et collègues, c’est trop compliqué ».
Qui n’a pas vécu de petit doute quand il s’est agit de passer du « vous » au « tu » avec son patron ou ses collaborateurs.
A l’origine souvent, certaines expériences de vie ont érigé entre nous et les autres des murs voir des forteresses : notre cœur et notre désir d’engagement dans la relation s’en sont trouvés mis en alerte.
Et pourtant, être un responsable centré sur les personnes génère une proximité inévitable. Impossible de ne pas s’engager dans la relation !
Comment s’engager sans se perdre ou perdre l’autre ?
L’attention faite de chaleur humaine n’est pas malsaine…
Une relation proche est une relation où je signifie à l’autre par mes paroles et par mes actes : je tiens compte de toi, tu es important et je te perçois compétent et sympathique et tu as des limites tout comme j’en ai.
C’est une relation qui exprime une égalité humaine derrière la hiérarchie sociale.
C’est une relation où existe parfois en plus une chaleur humaine.
Un geste de sympathie, un regard plein d’empathie, une écoute attentive et respectueuse, des temps de partage en profondeur…autant de signes qui nous font nous sentir proches.
La relation est proche, mais pas trop.
Avoir le désir que l’autre grandisse signifie qu’il reste autre et que je ne confonds pas mes aspirations, mes limites et mes besoins avec les siens.
Dans ce type de relation, faite d’estime et de proximité, il n’y a pas confusion sur la place de chacun. Alors pourquoi ne pas envisager l’amitié au travail dans ces conditions ?
… au contraire, elle contribue à notre accomplissement
Une relation affective est une relation où se joue d’une manière ou d’une autre : je t’apprécie ou je ne t’apprécie pas, je crois que tu m’apprécies ou ne m’apprécies pas.
Cet investissement relationnel est forcément fait d’attachement, et chacun de nous a besoin d’un minimum d’attachement et de confiance pour s’accomplir.
L’attachement à des personnes constitue nos bases de sécurité, nous rappelle Georges Kohlrieser.
Parfois nous avons suffisamment de bases de sécurité hors du travail pour nourrir notre estime de nous et accomplir nos projets professionnels.
Parfois, nos référents, coachs, superviseurs et managers vont jouer ce rôle.
Ne pas avoir de bases de sécurité, de personnes de confiance dans notre milieu professionnel (et personnel) peut devenir un frein pour oser accomplir nos objectifs voir oser explorer et dépasser nos possibles.
Quelles sont vos bases de sécurité dans le milieu professionnel ?
Quand l’affectivité s’installe dans le « trop »
Quand l’affectivité s’installe dans le « trop », elle indique le plus souvent que le manager ou le collaborateur cherche à combler des besoins excessifs de reconnaissance ou d’être aimé, d’être apprécié, d’être sécurisé.
Will SCHUTZ, père de l’approche Elément Humain© évoque que les comportements excessifs comme trop d’affectivité (ou l’inverse) sont en lien direct avec nos peurs personnelles.
Le comblement des manques et peurs devient, souvent de façon inconsciente, un but en soi.
Et lorsqu’en plus, nous confondons signes d’attention avec signes d’affection, nous sommes en risque d’interpréter de simples signes de reconnaissance positifs ou négatifs comme un signe d’affection ou de « mésamour » : la confusion génère alors des attentes potentiellement malsaine.
Les symptômes d’un « trop » d’affectivité
Les signes les plus fréquents d’une trop grande affectivité dans les relations professionnelles, sont repérables à l’intensité émotionnelle vécue.
Le premier mouvement, se manifeste lorsqu’on cherche à devenir ce qui plairait à son patron, à son collègue, à son équipe.
Ce climat s’accompagne d’un abandon progressif de l’indispensable exigence, car ne sont plus exprimées les choses négatives, ne sont plus effectués les nécessaires recadrages.
La confrontation des idées est remplacée par un climat consensuel ou mou, d’où peu de lumière peut émerger. Pire, les oppositions sont extrêmement rares, car s’opposer est perçu comme un manque de fidélité, comme un « je ne t’aime plus ». C’est casser le lien, trahir.
Il peut naître un sentiment d’étouffement, de manque d’espace
Quelques exemples :
-Je ne dis pas les choses de peur de blesser, de faire mal, d’abimer la relation, de ne plus être apprécié, ne plus être aimé, reconnu….
-J’évite toute friction, toute confrontation avec la personne, même si je sens qu’il y aurait à dire, ou à redire, même si je sens qu’elle ne donne pas ce qu’elle devrait vraiment donner
-Je te fais plaisir, tu me fais plaisir, je te couvre, tu me couvres, je te mets en évidence, tu me renvoies la balle…
-Je passe un temps disproportionné avec certaines personnes, alors que ma responsabilité globale m’appellerait ailleurs.
-La cohésion du groupe, le plaisir d’être ensemble, priment sur l’atteinte des objectifs
-Je fais « clan » avec certaines personnes et les autres peuvent difficilement intégrer ce groupe
Le « trop » est toujours le fruit d’une rencontre de deux ou plusieurs dépendances affectives. L’emprise affective, qui est une des expressions extrêmes de l’affectivité malsaine, souvent assimilée à tord à de la perversion consciente, n’est pas le fait d’un coupable et d’une victime mais bien de deux êtres manquants.
Les conséquences sont souvent dévastatrices pour l’entreprise :
Les groupes à connotation affective se construisent dans un meli melo relationnel… On ne sait jamais sur quel terrain on dialogue et on travaille : ami, collègue, patron, copain ?
Le danger pernicieux de la confusion entre proximité et affectivité réside dans le fait que les avantages de l’affectivité sont fortement perceptibles à court terme alors que les ravages ne se voient que dans la durée.
A la période du « je t’aime » succède celle du « je ne t’aime plus ». Plus l’attachement a été fort plus le « rejet » sera violent. Comme une histoire d’amour qui tourne mal. L’autre face de l’affection devient la possible haine.
De ce fait, les sorties d’un management trop affectif se font souvent dans la douleur. Il faut parfois le départ de la personne et son remplacement pour que la situation soit révélée et les jeux de rôle cassés.
Le risque symétrique de la froideur
Comment pourrai-je le recadrer, rester exigeant avec lui, le licencier peut être, si je suis trop proche de lui ? la réponse est trop facilement trouvée : pour ne pas risquer le copinage et tomber dans le piège de l’affectivité, je garde mes distances, des distances qui vont m’empêcher de porter sur mon collaborateur un regard chargé de valeurs.
Attention car dans ce cas je suis dans l’affectivité encore mais dans son expression inverse !
Et Moi, où j’en suis?
Et moi, est-ce que je sais garder la bonne distance entre affectivité et froideur ?
N’y aurait-il pas dans la liste des actes qui fassent écho à mon expérience ?
Qu’est-ce que cela produit sur l’équipe ? sur les résultats ? dans mes relations ?