Le coaching et la crise / Flavienne Sapaly – Dode Laurant

29 Mai 2015

Article écrit par Flavienne Sapaly
Mob : 06.82.56.38.99
Mail : flavienne.sapaly@humanart.fr

Coach Accréditée EIA Praticien senior et ESIA superviseur

Organisme de Formation Humanart certifié Qualiopi

L’école de Coaching de Paris organise le 3 avril, une journée d’étude sur le thème « le coaching et la crise ». Le thème est posé de la façon suivante :
Depuis plusieurs années, un climat d”incertitude règne sur notre avenir, tant au niveau individuel que collectif. On parle de crise économique et financière, de crise écologique, de crise éthique.
Quel est le rôle du coach dans tout cela?

Nous vous proposons un questionnement initié par Dode Laurant, coach certifiée CTA en analyse transactionnelle qui animera une table ronde sur le sujet, et qui interroge Flavienne Sapaly, enseignante superviseur à l’École de coaching de Paris.

Dode Laurant
La notion de crise en chinois me semble être un point de départ intéressant. La question se posant tant au niveau du client et du coaché que du coach !
La signification du mot crise en chinois vient de l’association des deux idéogrammes Wei (danger) et Ji (opportunité). Cela montre bien tout le paradoxe de la crise : une situation difficile, dangereuse, mais qui permet de saisir des opportunités et de rebondir. Et le coach dans ce contexte, accompagne-t-il plutôt le risque ou l’opportunité ?

Flavienne Sapaly
Selon Edgard Morin : La Crise c’est le moment où, en même temps qu’une perturbation surgissent les incertitudes. Et l’incertain se situe justement entre risque et opportunité.

Le coach accompagne le risque ET l’opportunité car l’un ne va pas sans l’autre. Il y a forcément un effondrement, une perte et un risque à prendre pour saisir l’opportunité

De fait la crise n’est pas extérieure mais intérieure. L’état de crise c’est toute situation invalidant les critères de jugement et de décision habituels.

Les situations de tension courantes en entreprise et de crise que nous rencontrons peuvent être nombreuses :

  • crises environnementales, sociales avec absence d’issue ou de visibilité sur l’avenir, la perte de gros clients, un marché qui disparaît etc….
  • crises relationnelles avec ses collègues ou ses supérieurs à l’occasion d’un gros conflit par exemple etc…
  • crises existentielles à l’occasion d’un changement ou d’une suppression de poste imposée, où d’une grande perte de sens dans son métier, ou d’un burn out etc..

Les 3 sont intimement liées, l’une pouvant enclencher les 2 autres.

Dans ces contextes, Il y a crise dès lors que le niveau de tension est si fort qu’il suscite pour la personne ou le collectif qui la subit, une invalidation du discernement.

Comment le coach va t-il exercer son métier avec éthique face à tant de tension ?

Le positionnement du coach face à la crise va totalement dépendre de son diagnostic qui lui-même dépend de ses croyances et de ses expériences. Ma croyance personnelle par exemple est que la crise est une interpellation et une invitation à changer de plan, à s’élever : un changement de type 2 pourrait t-on dire.

De fait je considère ma mission de coach comme celle de « passeur », et ma posture consiste à accompagner une petite mort pour une re-naissance.

J’imagine que d’autres coachs peuvent croire autre chose.

  • Par exemple, si je crois que la crise est un risque pour lequel mon client est en danger, ou peut passer à l’acte (démission intempestive, suicide, le meurtre, la folie, burn out etc…), il y a des chances que ma posture de coach soit une posture de protection
  • Si je crois que cette crise est l’indicateur d’un problème nié depuis longtemps, ma posture de coach va accompagner des prises de conscience
  • Si je crois que « c’est surement un mal pour un bien », je vais mettre mon client en position d’attendre des jours meilleurs, de se recentrer sur son cœur de métier et de voir où le vent le mène
  • Si je crois que devant la difficulté l’important est de se reprendre en main et de se fixer des objectifs, je vais guider mon client vers un travail d’autodétermination etc…

Notre responsabilité de coach est donc très grande et notre travail subtil.

Dans son livre « Éthique et chaos », dom Miguel nous rappelle « les seuls repères qui sont à la disposition de l’homme pour conserver le cap dans une situation difficile sont ceux fournis par l’éthique. Elle requiert beaucoup de lucidité et de courage ».

Il convient à chaque coach de se questionner sur ce que nous croyons à propos des crises : risque ou opportunité?

Bien souvent c’est notre expérience qui nous aide à répondre à cette question. Un coach qui n’aurait pas cette expérience risque de projeter ses propres peurs ou limites non dépassées.

Le coach risque-t-il d’être instrumentalisé ?

Le risque d’instrumentalisation existe quand on ne décèle pas les processus parallèles en œuvre dans la relation d’accompagnement.

La personne et le collectif, pris au piège de la crise et de la tension suscitée voudra échapper le plus vite possible notamment en reportant parfois la tension sur sa relation avec le coach.

C’est le fameux «aidez moi Monsieur le Coach, ma vie en dépend» et le processus parallèle de la patate chaude.

On trouve souvent aussi une demande cachée qui consiste à demander implicitement au coach « aidez moi Monsieur le Coach à ce que tout redevienne comme avant », avec le risque que le coach et la personne s’épuisent dans la tentative de solution.

En quoi l’accompagnement des crises ou en période de crise est spécifique ? Si tel est le cas bien sur.

Je ne sais pas si c’est un accompagnement spécifique mais il nécessite surement d’avoir le cœur bien accroché et une solide confiance. Je pense même que l’état de crise est un magnifique accélérateur de changement qui permet aux coachs de révéler leurs talents de professionnels du changement.

Les freins à dépasser sont les freins habituels.

  • Le premier frein majeur au changement de type 2 est le fait que nous nous identifions à notre statut social, nos habitudes, nos possessions etc…ce qui nous empêche de quitter ce qui est à quitter, ou de nous envisager autrement. La crise vient bouleverser notre confort et bousculer les espaces où nous étions identifiés

Elisabeth Kubler Ross dit « Il ne peut y avoir de Deuil s’il n’y a pas rupture d’attachement ? ». Où y a-t-il rupture d’attachement c’est-à-dire qu’il y avait avant et maintenant il n’y a plus?

  • Le deuxième frein majeur, en lien étroit avec le premier, est celui de nos peurs : selon moi la pire peur vient du fait que nous autres humains avons beaucoup de mal à ne plus contrôler. La perte de la maitrise de soi, la non maitrise de l’avenir est le comble de l’horreur car nous n’avons plus le contrôle et ceci est perçu comme une faiblesse. Nous avons énormément de mal dans ces cas là à avoir confiance en la vie et à nous abandonner confiant à l’hypothèse : et si je n’avais pas peur qu’est ce que je ferai? Le risque face à ce frein est autant l’inhibition, le ressentiment, ou tout autre défense habituelle comme un passage à l’acte intempestif.
Sans parler de recette miracle, quels conseils donneriez vous aux coachs, aux organisations, aux équipes et personnes en contexte de crise ?

Je ne sais pas dire ce qu’il faut dire ou faire mais j’invite chacun à penser les 3 P autrement. Dans la crise il y a Pénurie – Pauvreté – Précarité. Le conseil serait de les transformer en Partage – Patience – Perspective.

  • Partage : il n’est plus possible de préserver l’illusion que le succès d’une organisation repose sur les décisions éclairées d’un seul. Pour se remodeler, faire face aux transitions en cours et assurer leur avenir, nous aurons besoin de nouvelles façons de faire mais aussi d’être individuellement et collectivement. Permettre que les gens échangent à plusieurs autour de ces moments difficiles est encore le meilleur moyen de baisser la pression. Il faut créer des espaces où chacun pourra déposer l’intensité émotionnelle qui est la sienne et envisager les choses autrement grâce au point de vue d’autres personnes. Nous accompagnons des changements de regard individuels et collectifs, les cercles d’échange nourrissent ces changements.
  • Patience : face à la pression suscitée par la crise, donner le temps au temps. Certes le principe de réalité peut amener à des décisions rapides et radicales mais les grandes décisions qui engagent l’avenir nécessitent du temps et de la maturation; L’évolution de notre société appelle à des innovations comme le confirme Gary Hamel dans son dernier livre «ce qui compte vraiment ». Cela demande du temps. Le coach modélise par sa posture de calme et de confiance fondamentale en la vie, une attitude de prise de recul.
  • Perspective : dans des temps de repères troublés, la vision d’un cap possible devient essentielle pour amener une sécurité. Cette sécurité ne vise pas l’immobilisme mais la mobilité nécessaire au changement. C’est le moment de disposer d’une vision du futur souhaité et de la partager avec tous ceux qui seront en mesure d’agir. C’est le moment de se questionner sur ce qui a vraiment du sens pour chacun de nous. Alors la crise devient une opportunité d’aller un pas plus loin vers notre projet de vie.
Un mot en conclusion ?

Il est intéressant de constater que l’essor du coaching est totalement en phase avec la période de crise actuelle. Les coachs compétents sont subitement submergés par la demande. Cette tendance actuelle est peut-être aussi un indicateur important de la période que nous vivons.

En aidant leurs clients à se poser des questions essentielles, les professionnels du métier ne cherchent pas tant à augmenter leur confort immédiat mais plutôt à accompagner des transitions bien plus fondamentales. Le métier de coach s’inscrit réellement dans une perspective de développement durable.

« Dans les années qui viennent, écrivait Meryem Le Saget en 1992, il faut s’attendre à une double tendance : un mouvement de durcissement, avec résurgence du cynisme, de l’autoritarisme, de la course aux privilèges, et dans certaines entreprises, du règne des « patrons durs » ; et un mouvement progressiste plus lent, moins tapageur, qui tranquillement et sans se laisser impressionner par les turbulences se propage dans les équipes et les organisations. L’avenir sourira aux managers qui sauront créer des communautés d’appartenance et de sens ». in Le manager intuitif, Éditions Dunod

Et aussi cette invitation de Kevin Kelly : « Dans le nouveau monde, face au complexe et à l’instable, l’ouverture coule directement de l’innovation, pas de l’optimisation ; c’est-à-dire que la richesse ne se gagne pas en perfectionnant le connu mais en s’engageant de manière imparfaite dans l’inconnu » in Nouvelles Règles pour la Nouvelle Économie, Wired 1999

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